Les liens avec le
congrégationnalisme garantissent le puritanisme de
lenseignement et du mode de fonctionnement de Yale.
Les étudiants et professeurs doivent prononcer une
profession de foi à leur entrée dans
létablissement, et peuvent être
renvoyés si leur sincérité est
sérieusement mise en doute. À ce puritanisme
sajoute un élitisme forcené : les
étudiants sont classés, dès leur
arrivée à Yale, non pas en fonction de leurs
capacités, mais de la position sociale de leurs
parents. En tête de classe, les fils ou petit-fils de
gouverneurs, de vice-gouverneurs. Puis viennent les membres
des familles de juges de la Cour suprême. Un plus bas
dans le classement, on trouve les fils de pasteurs et
danciens élèves. En queue de peloton,
les fils de fermiers, de marchands et dartisans. Ce
classement décide de la place attribuée
à chaque élève dans les salles de
classe, à la chapelle et à la cantine. Ainsi
Yale devient lexemple idéal-typique dune
institution reproduisant les élites et leur
hiérarchie interne. Le déclassement est en
général occasionné par un manquement
disciplinaire, et sanctionne le fait que
lélève a ainsi entaché
lhonneur de sa famille. Il faut ajouter à ce
mode de fonctionnement peu banal la licence explicitement
donnée aux élèves plus
âgés de bizuter, voire de brimer et
dhumilier les étudiants des classes
inférieures. Le règlement prévoit une
série de mesures visant à assurer le respect
de la hiérarchie la plus arbitraire, fondée
uniquement sur lâge. Lyman Bagg a raconté
dans un ouvrage, Quatre ans à Yale, paru anonymement
en 1871, comment il analysait les mécanismes mis en
place par linstitution. Ces pratiques
autorisées reflètent selon lui le «
pouvoir énorme des "coutumes" de lécole
dans la création dune folie temporaire qui fait
des hommes faibles des êtres cruels et des hommes bons
des êtres sans pitié ».
Cette propension à lélitisme, à
la hiérarchie brutale et au puritanisme incite les
élèves, à la fin du XVIIIe
siècle, à monter plusieurs
sociétés parallèles à
luniversité. Il sagit au départ
dassociations littéraires, telles que Linonia
et Brothers in Unity. Lensemble des
élèves est appelé à
adhérer à lune ou lautre des
organisations. Ce qui nest pas assez élitiste
pour ceux qui souhaitent une stricte reproduction de la
nouvelle « aristocratie » états-unienne. En
1780 la branche Alpha de lorganisation Phi Betta Kappa
est fondée à Yale. Plusieurs autres
sociétés fleurissent à
lépoque : la Beethoven Society,
lHexahedron Club... Petit à petit, les salons
littéraires perdent de leur importance,
remplacés par des sociétés
secrètes, plus élitistes et plus
fermées. Au milieu du XIXe siècle, on en
dénombre trois principales : les Skull and Bones
(Crâne et os), les Scroll and Key (Parchemin et
clé) et Wolfs Head (Tête de loup).
Parallèlement, le corps enseignant de Yale
décide de suivre le mouvement.
Il est difficile détablir avec précision
les circonstances de la création de la
société secrete. Il sagirait, au
départ, dune réaction à
lexclusion dun membre des Phi Beta Kappa,
Eleazar Kingsbury Forster. Indigné par le
procédé, et souhaitant redonner sa
vitalité à Yale, William Russell aurait
condamné Phi Betta Kapa, pris Forster sous son aile
et fondé, avec treize autres étudiants de Yale
(dont Alfonso Taft), une société encore plus
secrète et encore plus forte, originellement
intitulée le Club Eulogie, du nom de la déesse
grecque de léloquence. Sous linfluence
dun récent voyage en Allemagne, Russell importe
bon nombre de références germanques dans le
rituel. En 1833, les jeunes membres adoptent la tête
de mort et les ossements comme emblème. À la
même époque, le chiffre 322 devient le "chiffre
clé" de lorganisation. Cest en effet en
322 avant JC quest mort lorateur grec
Démosthène. Selon la "tradition Skull and
Bones", la déesse Eulogie aurait alors rejoint le
paradis, avant de redescendre en 1832 et de rejoindre la
société secrète.
Depuis 1832, à Yale, quinze juniors sont
brutalisés chaque année par leurs
aînés afin dêtre initiés et
intégrés au groupe lannée
suivante. On dit que chaque initié reçoit 15
000 dollars et une montre de grand-père. Loin
dêtre une sorte de maison du plaisir dont
l'activité se réduirait aux seules
années de campus, le groupe conserve par la suite des
relations suivies afin de favoriser la réussite de
ses membres dans le monde post-universitaire.
Le fonctionnement de lorganisation est
aujourdhui mieux connu. Quinze membres sont
recrutés chaque année, ce qui permet
destimer à environ 800 le nombre de membres
vivants de lorganisation à nimporte
quelle date donnée. Encadrés par des membres
plus anciens, les quinze nouveaux impétrants se
réunissent deux fois par semaine pendant un an, pour
discuter à la fois de leur vie, de leurs
études ou de leurs projets professionnels. Des
débats sur des questions politiques et sociales ont
également lieu. Une fois par an, la
société organise une retraite à Deer
Iland, une vaste île située dans le fleuve
Saint-Laurent, près de New York, où a
été construit un club cossu à
langlaise, conformément à la
volonté de George D. Miller, membre des Skull &
Bones et généreux donateur de la
résidence.
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